hansTroth1hansTroth2

 

L’histoire qui va suivre n’est pas un conte de Noël…

mais le récit d’une aventure vécue,

dont chaque détail est absolument authentique

 

            Nous sommes le 18 août 2012. Une chaleur caniculaire écrase le quart Nord-Est de la France et la plaine du Rhin. L’eau est devenue une denrée précieuse mais dans les Vosges du Nord, au fond des vastes forêts, la fraîcheur se maintient. Il faut venir là pour échapper à l’étuve.

Cette année encore, nous revenons à Obersteinbach, dans ce village de l’Outre-forêt, loin de la dite « civilisation ». On passe par Lembach, où de nombreuses fontaines chantent de plaisir. Cinq d’entre elles portent une plaque, gravée d’une strophe d’un poème d’Henri Mertz, natif du lieu : le célèbre « Min Brunne ésch e Troubadour ». A Obersteinbach, on trouve des fontaines plus petites, disséminées entre les maisons à colombages, fleuries de géraniums. Elles aussi déversent un filet d’eau joyeux, on n’entend qu’elles ! Ici… peu de touristes, quelques cavaliers sur des chevaux islandais, de rares voitures, le calme. Ici… le monde s’arrête.

Nous sommes aussi au pays des châteaux médiévaux. Au-dessus du village, se dressent les ruines du Petit-Arnsberg offrant une vue imprenable sur Obersteinbach. Un peu plus loin, l’imposant rocher du Wachtfels, éclairé la nuit, monte la garde sur la vallée. Au pied du rocher se trouve l’auberge qui nous accueille pour quelques nuits. Ce 18 août au matin, après la brume qui laisse une rosée bien fraîche, le jour se lève et s’annonce chaud. Un couple de randonneurs tchèques se met courageusement en route, sac au dos. La voiture du boulanger, fidèle et imperturbable en toute saison, arrive en klaxonnant devant chez la « Mamama » du bas du village qui vient se ravitailler. Peu après, l’auberge du Wachtfels se trouve elle-aussi généreusement pourvue en baguettes et croissants, pour le plus grand plaisir des vacanciers.

Un petit-déjeuner savoureux nous remplit d’énergie et nous décidons de nous rendre un peu plus au nord, dans le Palatinat – die Pfalz.

Prêts à affronter les envolées caniculaires du mercure, nous allons chercher le grand frisson en partant sur les traces de l’abominable Hans Trapp… Un personnage fascinant pour qui aime le Moyen-âge, à l’image de tous les chevaliers-brigands de cette époque.

Après quelques kilomètres, nous entrons dans ce Wasgau qu’Erckmann et Chatrian appelaient « les Vosges allemandes ». L’ancienne frontière franco-allemande, Dieu merci, est aujourd’hui invisible et le grand public a le plus souvent oublié que « L’Ami Fritz » n’était pas alsacien.

Deux objectifs motivent notre randonnée à la fois motorisée et pédestre : la visite du château du Berwartstein, où Hans Trapp sévit jadis et la chapelle de Niederschlettenbach, où il fut enterré.

Nous arrivons d’abord au village d’Erlenbach – le « ruisseau des aulnes », comme le roi du même nom. Troublant… quand on s’appelle Brumbt. Troublant… quand on se souvient que nos ancêtres, sur plusieurs siècles, ont habité l’homonyme Albé/Erlenbach, dans le Val-de-Villé. Troublant…

Et tout à coup, surgissant d’un éperon rocheux, impressionnant sur fond de ciel bleu-azur, apparaît une sorte de Haut-Koenigsbourg, à peine plus petit : le Berwartstein. Un frisson nous prend : c’est ici !

En grès rose, de toute beauté architecturale et restauré à la même époque que son grand frère (fin XIXe, début XXe), le château se visite. On s’attarde dans la salle des chevaliers (Rittersaal) qui invite à remettre en scène la vie des chevaliers-brigands ou pas, leurs tribulations et les fastes de leur cour. On reste pensif un moment, devant une porte quelque peu vermoulue et barrée de fer rouillé : l’ancien cachot…

Sacré Hans von Trott ! Ses ennemis ne devaient pas rire ! Ce personnage du XVe siècle, devenu Hans Trapp par la suite, terrorisait les habitants de la région depuis son nid d’aigle et rançonnait les voyageurs de passage. En conflit avec l’abbé et la ville de Wissembourg, on prétend que ce redoutable seigneur à l’esprit vengeur avait un jour décidé de construire un solide barrage sur la Lauter. Il parvint ainsi à retenir les eaux et ouvrit ensuite les vannes d’un coup afin d’inonder la pauvre ville de Wissembourg. Et ce n’était pas tout… Il vint ensuite avec ses complices pour semer la terreur dans la cité.

Passé dans la légende à présent, Hans Trapp accompagne chaque année Saint-Nicolas, l’évêque portant la mitre et tenant une crosse, durant la nuit du 5 au 6 décembre. De noir vêtu et secouant ses chaînes, on le retrouve aussi le soir de Noël, aux côtés de Christkindel pour la distribution des cadeaux aux plus sages d’entre nous … Quant aux autres… qui sait ce que leur réserve Hans Trapp cette nuit-là ?

Mais ce 18 août, peu avant midi – quand le soleil se fait presque violent, on n’a pas envie de rêver de Noël… D’un bon panaché frais, soit… mais pour la neige, pourtant rafraîchissante aussi, c’est encore un peu tôt. D’autant plus que le meilleur n’est pas encore arrivé…

            En route donc, direction Niederschlettenbach, où le monstre von Trott est enterré. C’est à la sortie du village, dans la St-Anna-Kapelle, que repose, si Dieu le lui permet, l’horrible Hans.

Nous savons que la chapelle presque millénaire est toujours verrouillée. Les destructions au cours des siècles et les vandalismes récents ont nécessité la mise en place de deux portes et d’une grille. Il y a quelques années, nous avions fait revivre l’histoire de Hans Trapp sous forme théâtrale à Wissembourg. A cette occasion, une personne du lieu, bien placée, avait obtenu la clé de la chapelle St-Anna et nous l’avait fait visiter. Mais ce 18 août vers midi, sans le précieux sésame, nous avons peu de chances de rencontrer notre Père Fouettard…

Et pourtant ! A l’approche de la St-Anna-Kapelle … la porte… non, ce n’est pas un mirage dû à la chaleur… la porte a l’air d’être ouverte ! Et si… ?! Quelques personnes sont rassemblées devant l’entrée de la chapelle. En passant à côté d’elles, nous lançons un « bonjour » bien sonore, comme pour conjurer une sourde inquiétude. Et c’est là qu’apparaît un personnage semblant sortir d’un autre temps, l’allure classe, vêtu d’un superbe habit noir et violet. Souriant, il nous répond dans un français impeccable :« Bonjour ! Je suis l’évêque de Spire et je suis en mission diocésaine… ». Stupéfaits, nous discutons un moment en français et en allemand. L’historien local nous rejoint, un peu nerveux car on l’a prévenu au dernier moment de l’arrivée du prélat. Visiblement très cultivé, il nous invite à entrer dans la chapelle. Il y fait frais, presque froid… A nouveau, un frisson nous parcourt l’échine… Sommes-nous en août ou en décembre ? En 2012 ou au XVe siècle ? Le guide nous conte l’histoire de la St-Anna-Kapelle, puis nous présente la pierre tombale sous laquelle est enterré Hans Trapp.

Oouuaahh !!! Le bougre était un géant de plus de deux mètres, le gisant en atteste. C’est donc ici ?… Lui ?… L’historien détient moult légendes à son sujet mais… il est midi et son déjeuner l’attend. Nous sortons de la chapelle, interloqués.

Ça alors ! Nos pensées s’entrechoquent : évêque de Spire (Speyer), certes… mais Saint-Nicolas, évêque de Myre, en Turquie… Alors, Spire ou Myre pour un Saint-Nicolas-évêque qui rend visite à Hans Trapp ? Est-ce une hallucination ? Nous n’avons pourtant bu que de l’eau. Non, il n’y a pas de hasard, cette rencontre insolite faisant surgir Noël en plein été le prouve. Et… que les incrédules passent leur chemin !

            Reprenant notre bâton de pèlerin, nous repassons dans l’autre sens la fameuse frontière qui n’existe plus. Passage…entre deux mondes, deux pays, deux époques… Après cet étonnant périple, une terrasse ombragée nous attend. Dans quatre mois ce sera Noël ! Mais auparavant, il y aura les vendanges, l’été indien (le fameux Altwywersummer), la Toussaint, le brouillard et les feuilles mortes.

Obersteinbach est toujours là. L’auberge du Wachtfels nous accueille le soir venu et nous goûtons, sous le bruissant feuillage de son arbre, aux mets délicieux du terroir. Les petits vins de Cleebourg attisent notre imagination : mieux que les légendes, cette « histoire vraie » racontera Noël… bientôt.

Le jour décline sur Obersteinbach. La petite vieille du bas du village va rendre visite à son amie, la « Mamama du haut », qui habite avec son chien, à l’autre extrémité, près de la forêt. Elles feront un brin de causette, puis se sépareront comme chaque soir. Et puis plus rien… juste un crapaud qui se traîne le long d’un muret… et l’odeur du foin coupé. La nuit.

Deux jours plus tard, 20 août, les fontaines ne laissent plus filtrer qu’un fragile goutte-à-goutte, triste sérum. Le 21 août, les fontaines sont à sec. On attend la pluie… ou peut-être… l’ouverture des vannes du barrage de la Lauter par un certain von Trott ?

Et puis vient le moment de quitter Obersteinbach, de s’arracher aux mystères des vastes forêts fraîches et des châteaux où résonne encore, comme à la Hohenbourg, le chant du Minnesänger. Dans ma tête retentit ce refrain de Jean Dentinger qui nous a quittés trop tôt : « Tamdaramdam, tamdaramdam, d’Ritter in de Nord-Woge-e-se… ». Non, je ne veux pas retourner en ville.

Dans quatre mois ce sera Noël… Bien au chaud, nous revivrons ces moments… Hans Trapp et l’évêque seront-ils au rendez-vous ?

 

F. B. 22. VIII. 2012